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HORIZONS SUD-AMÉRICAINS

05.07.2017 - 16:53
Une pluie fine recouvre les hublots. Il est 8 heures du matin, je viens d’atterrir à Genève-Cointrin. Le voyage de retour a été long. Je regarde au travers de mon hublot droit, mon regard se perd soudain bien au-delà du tarmac. Je sais que je ne reverrai plus ces pays d’Amérique latine avant bien longtemps.

Aspiré par mes souvenirs je me retrouve propulsé à Quito. La première fois que je m’y suis rendu je fus stupéfait par la raréfaction de l’air. Culminant à près de 3000 mètres d’altitude, Quito ne manque pas à sa réputation d’une des capitales les plus hautes du monde.

La lenteur de déplacement de certains touristes le long de ses rues contraste souvent avec l’agitation désordonnée de ses habitants. Incroyablement vallonnée, la capitale équatorienne brille de toutes ses nuances de vert, du plus clair au plus profond. D’une beauté saisissante, Quito y ajoute la grâce colorée de ses églises, souvent baroques et à l’intérieur clinquant. Par une journée bien dégagée, ses habitants ne manqueront pas de vous montrer le Pichincha, volcan toujours en activité dont les volutes de fumée sont immanquablement annonciatrices de futures pluies de cendres. Accompagnées de pierres si sa majesté Pichincha est de mauvaise humeur.

Mais par dessus-tout, ce qui me restera de Quito c’est l’incroyable gentillesse de ses habitants. Une douceur qui contraste avec la rudesse monta- gnarde de l’environnement. Une joie de vivre presque latine perchée à près de 3000 mètres. Terre de contrastes s’il en est, l’Équateur c’est aussi Guayaquil. Au bord de l’Atlantique, ce port maritime bâti  sur d’anciens  marécages est aussi plat que Quito est escarpé. Des chaleurs de plus de 40 degrés y sont fréquentes, accompagnées d’inévitables ouragans. Nature à première vue hostile, Guayaquil a cependant réussi à me charmer. Sans doute y ai-je trouvé un univers que la main de l’homme n’avait pas encore réussi à trop façonner. Sans savoir pourquoi, je déambule soudain dans les rues d’Antigua, à une demi-heure de route de Guatemala City, la capitale du Guatmala. Antigua fut la première ville coloniale d’Amérique latine bâtie par les Conquistadores. Détruite plusieurs fois par des éruptions volcaniques, elle fut à chaque fois reconstruite et garde encore aujourd’hui le charme suranné de ses ruelles pavées de pierres volcaniques. De charme suranné, il n’en  est pas  question à Tikal, où me projette mon esprit en une fraction de seconde. Tikal, ville maya édifiée en pleine jungle où vivaient autrefois plus de cent mille personnes. Ses pyramides vertigineuses donnent l’exacte mesure de ce que fut l’empire maya. Par trop méconnu, le Guate- mala offre pourtant une nature parmi les plus belles d’Amérique latine. Rude, flamboyante, déroutante, elle représente ce qui m’a toujours attiré dans ces pays : des horizons infinis, des couleurs spectaculaires, des paysages tour à tour bruts ou d’une incroyable douceur. De vrais, de grands pays. Souvent peu bâtis, à l’exception des grandes mégalopoles comme Mexico, Buenos Aires ou São-Paulo, l’Amé- rique latine garde encore tous ses mystères. Tour à tour exubérante, chatoyante, elle peut se transformer en un instant en un désert mortel ou une cordillère infranchissable. Mais elle ne  laissera  jamais indifférente.

Le son d’un bandonéon, les terrasses bondées d’un soir d’été me ramènent soudain à Buenos Aires. Plus précisément dans le quartier de Palermo, haut lieu du Buenos Aires traditionnel. Buenos Aires peut décevoir au premier abord le voyageur européen. Un je ne sais quoi de Paris, Madrid ou Rome lui donneront un air de déjà vu. Mais ce n’est qu’une apparence. Car c’est justement au travers de ce mélange que se dévoile le Porteño, l’habitant de Buenos Aires. Décidément bien trop atypique comparé aux autres Sud-américains. Car il aime cultiver sa différence avec une nostalgie bien argentine, elle. Un regard tourné vers l’Europe mais une identité propre.

Il est 21 heures, nous sommes en été, le soleil se couche sur la capitale argentine. Les danseurs de tango entament leur danse séductrice sur des scènes de rue improvisées. Les restaurants se remplissent peu à peu. Buenos Aires revêt ses habits de lumière et dansera bientôt avec la nuit. Soudain, j’entends le grondement assourdissant d’un bloc de glace gigantesque qui s’écrase dans l’eau. Je suis en Patagonie. Devant le glacier Perrito Moreno, un glacier de plusieurs kilomètres de long qui, chaque année à la période de la fonte des glaces, offre le spectacle dantesque de ses pans de glace  à l’aspect bleuté qui se fracassent plusieurs centaines de mètres plus bas. Le tout dans un craquement terrifiant. Terre de liberté absolue, la Patagonie se mérite.

Elle ne s’offrira à vous que si vous acceptez d’en parcourir ses terres arides, de franchir ses ruisseaux tumultueux, d’affronter ses nuits dont le froid vous transpercera. Mais au bout du voyage la rencontre sera magique. Beaucoup n’en sont jamais revenus, ancrant leurs souvenirs à tout jamais dans cette « Terre de Feu» millénaire.

Colombie, Venezuela, Panama, Chili... Je passe d’un pays à l’autre au gré de mes souvenirs. Mon esprit joue à saute-mouton, jonglant avec les images. La vitesse avec laquelle elles apparaissent à nouveau est sidérante. Certaines que je croyais oubliées sont plus vivaces que jamais. Des années de voyages refont surface. Sans ordre établi, sans aucune logique. Je me souviens. Tout simplement. La Colombie et ce petit bijou appelé Cartagena, le Venezuela et sa mégalopole Caracas, aussi dangereuse qu’inhospitalière. Panama City, un petit Miami. Le Chili, Santiago, ville magnifique où je revois encore les immeubles en brique rouge. Tout n’est plus qu’une succession de villes, sans frontières : Cali, Viña del Mar, Maracaibo, Córdoba, Recife... Des senteurs me reviennent, comme ces plantations de tulipes en Équateur et ce marché aux épices au Guatemala. L’odeur des embruns à Valparaiso et les effluves de la marée montante à Panama City. Les couleurs scintillent devant moi,   je suis partout à la fois.

Une légère tape sur mon épaule me ramène soudain à la réalité. « Monsieur, il faut descendre de l’avion» me dit une hôtesse. Je regarde autour de moi: tous les passagers sont déjà descendus. Depuis quand? Combien de temps suis-je resté à voyager dans mes souvenirs ?

Je l’ignore. Mais je sais désormais qu’une partie de moi est restée là-bas. À tout jamais. Qu’elle fait partie de ces horizons sud-américains que j’ai tant aimé parcourir. Ces pays qui forment un seul continent mais qui sont si différents les uns des autres. Cette nature encore présente dans le quotidien des habitants. Tour à tour crainte ou adorée. D’un coup, au milieu de tous ces souvenirs, me vient une certitude. J’y retournerai. Un jour.

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