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UN BUSINESS MODÈLE

30.06.2017 - 16:50
arketing de la marque oblige ! La marque contemporaine ne peut plus s’inscrire aujourd’hui dans une logique de produits à vendre à des consommateurs, mais dans celle de services à rendre à des personnes. Elle ne peut plus s’inscrire uniquement dans une logique de moyens, mais dans celle de bénéfices pour la personne, et elle ne peut plus enfin s’inscrire dans de l’avoir et du plus-produit, mais dans de l’être et du supplément d’âme. Un supplé- ment d’âme au travers d’« expériences » et de «création de liens» multiples et variés, comme valeur ajoutée et marque de différenciation incomparables. Ceci oblige les entreprises à ne plus uniquement se penser et se développer au centre d’un marché, d’un secteur, ou même d’une concurrence, mais plus fortement au cœur d’une société, d’un «undwelt». La prise de position comme positionnement pour «vendre» le vrai produit: la relation.

Dans ce changement de paradigme en cours, les entreprises, en plein questionnement existen- tiel, se sont donc découvert pour l’occasion une vocation de missionnaires. À ceux qui croyaient naïvement qu’un atelier ou une usine produit des montres ou des voitures, il est répondu que ces objets contingents peuvent devenir aussi le

 

 

Il est deux manières d’envisager cet impératif moral. On peut le dénoncer comme la nou- velle stratégie de conglomérats sans foi ni loi endossant l’habit du prédicateur pour masquer leurs pratiques parfois scandaleuses; y voir une manière de mettre de la vertu et l’écologie au service de la compétitivité afin de remobiliser l’interne et d’impressionner le client. On peut, à l’inverse, dans ce lifting, discerner un piège que le monde des affaires se tend à lui-même; quel que soit le caractère arbitraire des chartes responsables et citoyennes qu’il rédige, il se met ainsi en danger et s’expose au boycott s’il tra- hit ses propres règles. Deux millions d’enfants travaillent au Bangladesh pour des entreprises. Beaucoup d’entre eux risquent leur vie chaque jour pour gagner entre CHF 6 et CHF 10 par mois. L’industrie de la « fast-fashion » et ses en- seignes low-cost sont aujourd’hui à l’origine d’un gâchis et d’une pollution titanesques. Crises multiples, fortement médiatisées, qui affectent l’univers des marques et des entreprises, risque alimentaire, dégâts environnementaux, la dette « écologique » de certaines marques, les plans sociaux, les délocalisations, et leurs conséquences sur le profil éthique des marques, les crises financières, et le rôle négatif de certaines élites au sein des structures mettent à mal cette ten- tation à l’évangélisation.

 

Mais les deux arguments sont légitimes. Ces codes vertueux sont à la fois des écrans de fumée, des systèmes juridiques privés promulgués de façon discrétionnaire et en l’absence de contrôle, mais aussi un nœud coulant que les industries se glissent autour du cou: elles se ligotent ainsi, se mettent en demeure d’être désavouées par les fameux instituts de notation qui orientent les «investissements éthiques». L’instrument de leur souveraineté devient celui de leur vulnérabilité. Ce que le socialement correct relève surtout, c’est moins l’altruisme inédit des grands patrons que leur gloutonnerie effrénée, non plus en termes financiers mais en termes symboliques. Voilà qu’ils se pensent en nouveaux législateurs, inter- prètes de la conscience générale, producteurs d’axiomes, émetteurs de normes.

 

Conquérir les marchés ne leur suffit plus: il leur faut s’approprier les territoires immatériels de l’âme, se substituer insensiblement à l’école, aux partis, aux spiritualités, dire le Bon et le Bien. Quand ils font, par exemple, de leurs produits les truchements d’une transfiguration, de leurs lieux de vente des temples de la foi, sous couvert d’en faire des lieux de «rencontres», quand Adidas nous explique qu’il «rend meilleur», Smart nous invite à «Open your mind», Calvin Klein à «Be yourself», et Hugo Boss nous conseille « N’imitez pas, innovez », Levi’s déclare qu’il encourage  la liberté  car«La liberté  finira bien un jour par aller à tout le monde», Nike qu’il travaille à l’accomplissement de soi, Apple qu’il nous encourage à penser différemment ou Lacoste reprend la devise nietzschéenne du «Deviens ce que tu es»… Quand Starbucks ou Nespresso, ne nous vendent pas du café mais une «expérience unique», l’arôme de la vieille Europe… Quand les marques de lessive se battent pour défendre l’environnement… On sent bien qu’il y a là comme un malaise dans ce bas monde, dont on ne se remettra pas de sitôt. Car quand l’épicier revêt la défroque du poète ou du prophète, c’est la poésie et la prophétie qu’il rabaisse au niveau de l’épicerie. Quoi qu’il dise, ça sonne faux, comme ces philosophes d’entreprise qui habillent de beaux concepts les stratégies de leur employeur. Qui peut encore croire qu’avoir c’est être?

 

Ce fut, dès son invention, la fonction de la communication ou de la pub de donner une personnalité aux produits, une valeur ajoutée, voire une certaine noblesse. Mais si une entreprise, en vendant des parfums, des voitures ou des loisirs, vend aussi de la qualité, une image gratifiante et un peu d’empathie, on ne lui demande pas pour autant de promulguer des valeurs ni de faire notre salut. Le monde du business est bien notre clergé moderne avec son uniforme, son jargon, ses codes, ses repentis et même ses défroqués. Quand bien même ils flirtent ou s’acoquinent avec les artistes et l’art contemporain, les penseurs ou le showbiz, nos grands dirigeants ne seront jamais des chefs spirituels.

 

 

Ce sont des hommes d’affaires, parfois géniaux, et ce n’est pas si mal. Mais il nous paraît de plus en plus incongru et souvent risible, de les entendre parler amour, bonté, charité, de les voir se déguiser en agneaux, montrer patte blanche et se racheter une conduite. Leurs boursouflures moralisantes ne les mettent pas seulement à contre-emploi, elles tra- hissent surtout une volonté hégémonique. Comme si, fatigués de la platitude épique du jeu capitaliste et de la postmodernité, ils briguaient maintenant une expérience humaine plus vaste, se sentaient habités d’un véritable prurit messianique.

 

 

Ces champions de probité nous jurent la main sur le cœur que leur but n’est pas de nous vendre des stylos ou des cornflakes mais du bonheur, de l’affection et de la solidarité. Benetton avait, il y a longtemps, poussé cette tendance jusqu’à l’obscénité : afficher des blessés de guerre, des malades du Sida en phase terminale, des enfants suspendus à des boat people… Tout ça pour nous fourguer des pulls et des bonnets. Leçon de morale en prime !

 

 

 

L’entreprise moderne se voudrait une cité radieuse, la  matrice  d’un monde aseptisé ; mais son but est la création de  valeur pour l’action- naire et ses armes. Rien que très «normal» et nouveau tant que les règles du jeu sont confinées à une sphère précise et que cette « immoralité d’exception »  est circonscrite.

 

 

 

Mais par pitié que les chefs d’entreprise nous épargnent leur prêchi-prê- cha. Faites bien ce pourquoi vous êtes très bien payés, mais de grâce ne faites pas le Bien. Contentez-vous de gagner des parts de marché, cessez

 

 

 

 

 

 

de vous travestir en gourou ou en prédicateur. Faites de l’argent mais pas le bonheur des gens. On le sait aujourd’hui, le capitalisme est une machine apte à tout transformer, l’amour, l’air, l’eau, la beauté, en profits. C’est son génie et sa limite. N’en faisons plus une église, ne lui demandons pas plus qu’il n’est : efficace et intéressé.

 

 

 

«Sans cœur nous ne serions que des machines»,

 

« Faire du ciel le plus bel endroit sur Terre »,

 

« Connecting people »… Dès qu’il devient sen- timental et sécrète du supplément d’âme, il engendre une légère mais persistante  nausée.

 

 

 

Que ce qui n’est que de la cupidité parle le lan- gage du droit, de la citoyenneté, de l’humani- taire pour continuer la guerre économique par d’autres moyens, est une chose; qu’elle sorte de sa compétence pour administrer l’humanité entière, en est une  autre.

 

 

 

Ce dévouement ressemble à s’y méprendre à une prédation, proche des empiètements de l’État totalitaire sur la société civile, à une prise de pouvoir sous les auspices mielleux de l’amour et de la conscience. Car le marché

 

 

 

CONTENTEZ-VOUS

 

DE GAGNER DES PARTS

 

DE MARCHÉ, CESSEZ DE VOUS TRAVESTIR EN GOUROU

 

OU EN PRÉDICATEUR. FAITES DE L’ARGENT MAIS PAS

 

LE BONHEUR DES GENS

 

 

 

ne s’humanise, ne vagabonde dans les doux pâturages du sens que pour investir de nou- velles régions de l’être, notre psychisme, notre intimité. Plus il se bride en apparence, plus il s’étend par toutes sortes de maximes édifiantes.

 

 

 

En attendant peut-être la privatisation totale des musées et l’arraisonnement, par trois grands groupes du Luxe, du patrimoine uni- versel : Vinci, Rubens, Goya, Van Gogh mis au service de Louis Vuitton, Gucci ou Car- tier. Bienvenue dans l’ère du messianisme commercial. \

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