Page d'accueil du site Navigation principale Début du contenu principal Plan du site Rechercher sur le site

CHANGEMENT DE PARADIGME : APRÈS LE HORS-D’OEUVRE DE LA CONFORMITÉ FISCALE, LE PLAT DE RÉSISTANCE DE L’INÉGALITÉ ?

02.01.2018 - 16:26
Ayant récemment défini la vision de notre groupe, j’ai acquis la conviction que la pérennité de notre entreprise dépendra de notre faculté à ne jamais perdre de vue notre raison d’être ou mission, mais également de notre capacité d’adaptation dans un monde globalisé en pleine mutation. Il s’agit d’une part de donner un sens positif à nos actions, tant pour nos collaborateurs que pour nos clients, dans un secteur d’activité, le trust offshore, souvent pointé du doigt à la suite d’abus antérieurs et de raccourcis simplistes pris par certains médias. Il faut ensuite rester conquérant, attentif aux besoins de familles exigeantes et aux attentes de nos collègues, tout en s’efforçant de questionner son environnement. Les tendances de fond de cet environnement ont parfois une telle magnitude qu’il est difficile de les appréhender tellement nous avons le nez dans le guidon !

C’est à ce titre que je qualifie de « hors-d’oeuvre » la douloureuse, mais néanmoins réussie, conversion de la place financière suisse en matière de conformité fiscale. Nous devons maintenant faire face au « plat de résistance » que constitue le gigantesque défi de l’inégalité. Faute d’être relevé dans les années à venir, il mettra directement en danger les patrimoines de nombre de nos clients fortunés, en particulier ceux qui proviennent de pays émergents où les disparités sont les plus criantes. Par effet de ricochet, toute l’industrie de la gestion de fortune en Suisse s’en trouvera affectée Mais ce souci de rééquilibrage en faveur d’une meilleure justice sociale devrait trouver un écho favorable chez les grandes fortunes elles-mêmes.

J’en veux pour preuve le phénomène global de relocalisation qui ne fait qu’amplifier. Certains s’y résignent pour se soustraire à une fiscalité confiscatoire car il devient périlleux de jouer aux « nomades fiscaux ». D’autres en ont assez de vivre dans une ambiance délétère envers ceux à qui l’on reproche d’avoir réussi. D’autres enfin, établis dans des pays où les règles de droit sont arbitraires et la corruption légion, souhaitent se mettre à l’abri des risques réels à l’endroit de leur personne, de leur famille et de leurs biens. L’entrée en vigueur de l’échange automatique d’informations en matière fiscale au sein de l’UE et des pays de l’OCDE devrait encore accélérer cette tendance. Comme le soulignait un ami fiscaliste libanais, « Que vous soyez riches ou pauvres, vous serez soit des exilés, soit des migrants ». Curieux modèle capitaliste !

De même, les « nextgen », nouvelles générations d’entrepreneurs, ont une définition du succès souvent différente que celle de leurs parents. Animés par le même esprit, nombre d’entre eux cherchent à redéfinir le rôle de l’entreprise pour en faire une force de changement positive pour la société. Ils sont davantage respectueux de l’environnement et sont sensibilisés aux problématiques de l’inégalité et des mécanismes dont elle découle. Le profit n’est plus une fin en soi.

À ce stade, un saut dans l’Histoire peut s’avérer utile avec l’actualité du centenaire en 2019 de l’OIT (Organisation internationale du Travail). C’est l’occasion de nous remémorer que la Déclaration de Philadelphie
du 10 mai 1944 constitue le premier acte normatif important de la fin de la Seconde Guerre mondiale. Elle entendait faire de la justice sociale l’une des pierres angulaires de l’ordre juridique international. Sa philosophie nous mettait déjà en garde contre le désastre potentiel de la réduction de l’Humain à une mesure comptable dans le système capitaliste. Si dans la période qui s’étend de l’après-guerre à aujourd’hui, une dynamique « cahin-caha » de redistribution des profits entre les différents acteurs économiques a été possible dans les pays industrialisés, nous assistons à un réel essoufflement du modèle dans sa forme actuelle. Cela se traduit par la financiarisation à outrance de l’économie au détriment de l’économique réelle, par une montée inquiétante du populisme et des nationalismes prônant le repli sur soi, tels le Brexit et la déclaration catalane d’indépendance, et enfin par une polarisation entre et au sein même des populations à travers le monde. Ces phénomènes mis ensemble constituent un cocktail explosif qui menace la paix sociale nécessaire au bon fonctionnement de nos démocraties, de l’économie et de la finance mondiale.

Mais à qui incombe-t-il de s’emparer du problème de l’inégalité ? Cette réflexion est normalement l’apanage des politiques. Ils réagissent par l’introduction de régulations ou d’arbitrages budgétaires fondés sur l’intérêt général afin de corriger les effets pervers identifiés. Malheureusement, un nombre considérable de gouvernements sont affaiblis pour les uns, ou agissent dans la précipitation sous la pression de l’opinion publique pour les autres. De ce fait, ils n’apportent que des réponses partielles, pas à la hauteur de l’enjeu, voire même parfois contre-productives. Transposée à notre secteur d’activité, la quête dogmatique d’une transparence fiscale « totale », sans grand discernement entre les pays aux bénéfices desquels les échanges d’informations s’effectueront, créera à terme plus de risques et de dégâts pour nos démocraties que de bienfaits. Pire, ces initiatives videront de leur classe entrepreneuriale les pays victimes d’une corruption endémique ou d’un régime totalitaire. Cela impactera de manière durable leur développement économique.

En l’absence de réponse adéquate du monde politique, vers qui se tourner ? Certains en appellent à la vertu des « méga-entreprises » telles que les GAFA (Google, Apple, Facebook et Amazon). Les montants mis à disposition par Bill et son épouse Melinda Gates dans le cadre de leur fondation envoient des signaux forts. D’autres s’enthousiasment de la nomination de leaders charismatiques de grandes entreprises qui portent le thème de la justice sociale. La récente nomination du nouveau PDG de Danone, Emmanuel Faber, dont le discours à la cérémonie de remise des diplômes HEC en juin 2016 avait marqué les esprits, en est un exemple.

Et pourquoi pas nous, vous et moi, dans l’esprit de la Déclaration de Philadelphie ? Elle affirme en son point (d) « que la lutte contre le besoin doit être menée avec une inlassable énergie au sein de chaque nation et par un effort international continu et concerté dans lequel les représentants des travailleurs et des employeurs, coopérant sur un pied d’égalité avec ceux des gouvernements, participent à de libres discussions et à des décisions de caractère démocratique en vue de promouvoir le bien commun. »

Étant donné la part de marché conséquente de la Suisse en matière de gestion de fortune transfrontalière, il semblerait contre-intuitif d’assumer que les acteurs bancaires, fiduciaires, avocats et autres conseillers patrimoniaux, n’aient aucun rôle à jouer. En tant qu’interlocuteurs privilégiés de familles fortunées ou influentes, parfois les deux, nous pouvons faire le choix d’ouvrir un dialogue sur les opportunités qu’offre une fortune familiale non seulement pour ses membres mais également au-delà de ceux-ci. Cela ne peut s’envisager que dans le strict respect de ce qui fait de chaque famille ce qu’elle est, ses valeurs et sa culture.

D’un projet familial philanthropique intergénérationnel, en passant par la prise en compte des facteurs ESG (environnement, social, gouvernance) dans la construction d’un portefeuille titres, ou dans le choix de la voie la moins imposable en matière de structuration et de transmission patrimoniale dans le respect des législations fiscales en vigueur, les sujets ne manquent pas.

Chacun d’entre nous, dans son rôle respectif, peut contribuer modestement mais positivement à la création d’une nouvelle dynamique. Les états d’âme de la Suisse lui ont fait manquer le coche du leadership mondial en matière de lutte contre l’évasion fiscale. Toutes les conditions et les compétences sont aujourd’hui réunies
pour qu’elle puisse réaffirmer son leadership sur un sujet aussi important que celui de l’inégalité. Comme le disait le grand-père de Spiderman à celui-ci lorsqu’il lui annonça l’immensité de ses pouvoirs : « avec de grands pouvoirs, viennent de grandes responsabilités ». \

SBM Logo