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Cop26 : entreprises et citoyens, l’alternative ?

09.12.2021 - 15:00
Entretien avec Aymeric Jung, Associé gérant de la société d’investissement à impact Quadia  (Genève, Paris, Luxembourg).



Aymeric Jung, la liste des déçus de la COP26 semble plus longue encore que celle des précédentes conférences climatiques, n'attend-on pas trop de ces conférences internationales sur les enjeux climatiques ?

En effet, là où nous attendons des engagements concrets, on obtient des déclarations non-contraignantes, lointaines, accommodantes et non-transformatrices. Elles ont cependant le mérite de relayer l’information et mettre à jour les divergences d’opinions.

Après la COP21, le message était clair : « Nous avons besoin que le monde vise un réchauffement en dessous de 2o » ; or, cette fois les négociations démontrent que ce ne sera pas le cas, notamment au vu de l’accord obtenu et des positions de la Chine et de l’Inde sur l’exploitation du charbon.

J’y vois différence flagrante entre la déclaration et l’action, entre l’approche Bottom-Up et Top-Down. Le Bottom-Up est un mouvement décentralisé qui part de la base, à savoir des individus et entreprises, et remonte vers le sommet de la pyramide, soit les Etats. Le Top-Down part des traités internationaux, des conférences oligarchiques des « Happy few » et des gouvernements.

Pour moi, le Bottom-up regroupe trois approches. Tout d’abord, des entreprises qui apportent des produits et solutions à impact positif pour l’humain et la planète. Elles transforment leur chaîne de valeurs, inventent de nouveaux métiers comme la réutilisation ou la réparation, et proposent des logistiques économes en énergie et matières premières. La deuxième approche est celle des consommateurs qui changent leurs comportements avec une mobilité nouvelle, une consommation responsable, et qui boycottent les entreprises polluantes et destructrices. Enfin, ce sont des politiques de subventions et d’encouragements à changer notre façon de produire et de consommer.

Par Top-Down, je pense justement aux initiatives gouvernementales mondiales ou aux lois votées en faveur de la planète comme l’interdiction du plastique à usage unique. Heureusement certaines entreprises n’attendent pas la loi et misent sur le bon sens et la prise de conscience citoyenne des enjeux. Le Top-Down se réfère aussi aux grandes entreprises et multinationales qui souhaitent réduire leur impact négatif. Le Top-down s’inscrit dans un cadre politique et réglementaire, souvent au temps trop long.


Quelles alternatives vous sembleraient plus valables, vers quoi pourraient se diriger celles et ceux qui s'engagent et sont déçus par nos scènes internationales ?

La réussite de la transformation écologique, donc environnementale et sociale, se fera lorsqu’il y aura une convergence des acteurs, lorsque les grandes entreprises plus anciennes travailleront avec ces entrepreneurs innovants. Alors politique et économie ne pourront plus se cacher derrière le Greenwashing ou, dans notre domaine de l’investissement à impact, derrière l’Impact washing. Il faut identifier la véritable intention. Celle qui peut entraîner un changement comportemental et qui ne se contente pas de vendre un produit via un discours complaisant envers la planète. L’alternative est justement l’engagement de chacun pour changer son comportement et construire un nouveau paradigme.

Même dans cette finance tant critiquée, c’est possible. Nous avons depuis 10 ans orienté toutes les actions de Quadia selon les principes de l’économie régénératrice, c’est-à-dire une économie apte à « rendre plus qu’elle ne prend ». Elle repose sur plus de local, de circulaire, de fonctionnel, de collaboratif et est bio-inspirée. Ces piliers sont à la base du fonctionnement de tous les écosystèmes naturels, qui par définition sont durables. Il s’agit d’observer le « modèle d’affaire d’une entreprise » et de le rapprocher du fonctionnement d’un écosystème vivant, en introduisant plus de local, plus de circulaire, mais aussi à le rapprocher d’une économie de la fonctionnalité ou d’une meilleure collaboration sur sa chaîne de valeurs. Ces pratiques diminuent le bilan carbone et donc on sort du confort et de la « bonne conscience » de la compensation. Nous ne sommes plus au temps des indulgences de l’Église… qui ont entre autres mené au protestantisme puis aux guerres de religions.

La clé est le changement comportemental, ce qui n’exclut ni les progrès technologiques, ni la croissance. Cependant, est-ce que Tesla est une solution ? À savoir une voiture individuelle de plus de 2000 kg, utilisée quelques minutes en moyenne, et souvent dans les embouteillages ? Cela reste l’ancien modèle. Je ne critique pas ici les acheteurs de Tesla, mais ceux qui veulent nous faire penser que c’est une solution. L’alternative est de réduire les besoins de mobilité ou de favoriser une mobilité douce et partagée. J’aime répéter cette phrase de F.Blanche « mieux vaut penser le changement que changer le pansement. »

En quoi les gouvernements pourraient jouer un rôle clé et réaliste ?
Quels vecteurs de changement pourraient-ils stimuler ?

Le Top-Down sait agir dans l’urgence ; récemment en arrêtant le monde, sans compter ni délais de réflexions avec la crise Covid19, mais encore en 1918 et 1945 quand il s’agissait de reconstruire un monde dévasté. Faut-il que tout soit détruit pour que le pouvoir politique agisse ? 2030 et 2050 sont des horizons trop lointains pour qui vise les prochaines élections ; heureusement que d’autres créent des entreprises qui apportent des solutions et changent les comportements !

L’urgence selon moi est la préservation de la Biodiversité, et là le citoyen et l’entrepreneur ne peuvent y arriver seuls. De récentes études montrent que plus de 50 % du PIB mondial repose sur la biodiversité, soit un montant de l’ordre de 42 000 milliards (USD); bien sûr avec la pollinisation (qui au passage représente économiquement 200 milliards d’USD, ce qui est proche du chiffre d’affaires des plus grandes multinationales comme Google et Microsoft), mais aussi grâce à la fertilité des sols, la qualité de l’eau et justement le maintien à l’équilibre des écosystèmes naturels. Les incendies et catastrophes naturelles de plus en plus fréquents montrent l’ampleur de ce problème, cela en 2021, pas en 2050 ! Les assureurs et réassureurs l’ont bien compris, comme le montre le dernier rapport de Swiss Re. Là, l’Etat doit interdire certaines pratiques, protéger et restaurer avant que ce ne soit irréversible. La philanthropie le fait, mais son périmètre d’action et ses moyens restent trop faibles. Mieux vaut préserver notre planète, malade mais vivante, que chercher des traces de vie sur Mars. Préserver et restaurer la Biodiversité est en même temps une logique économique et sociale ainsi qu’une urgence écologique.

Un autre point sur lequel les gouvernements auraient un impact fort serait celui d’assurer une bonne répartition des richesses créées. Assurer des plans de relance, d’accord, mais les cadrer mieux afin de « répartir » et pas seulement « repartir ». Il faut arrêter de croire que « faire mieux et plus juste », pour tous, coûte plus cher ; c’était ce que croyaient les Etats Sudistes en Amérique en déclenchant la guerre de Sécession de 1861. L’abolition de l’esclavage a heureusement permis de s’orienter vers un système économique différent.

Puisqu’il s’agit d’économie, que l’on regarde à trop court terme souvent, permettez-moi de conclure avec Keynes, qui disait "La difficulté n'est pas de comprendre les idées nouvelles, mais d'échapper aux idées anciennes."

 

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