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Esprit critique, où es-tu ?

26.01.2024 - 19:56
Par Jérôme Koechlin, Banque Reyl & Cie

Biais de jugement, biais de raisonnement, écoute tronquée… le legs de Platon, des Lumières, de Raymond Aron et de Jürgen Habermas serait-il menacé ? De cet esprit critique d’Emile Zola, de Nelson Mandela ou d’une Anna Politovskaïa assassinée pour avoir dit la vérité sur la guerre en Tchétchénie, que reste-t’il aujourd’hui ? Une incapacité à écouter ses conseillers critiques pour un dirigeant isolé au Kremlin, une tendance à croire tout ce qui se répand sur les réseaux sociaux, une posture de victimisation lors du rachat de sa banque, une capacité à mentir des milliers de fois pour un président des Etats-Unis… nos biais cognitifs sont l’ennemi de nos esprits.

Même s’il est plus confortable de suivre la majorité silencieuse, il appartient au citoyen responsable d’avoir son esprit critique en éveil, ce d’autant plus dans un monde de semi-vérités, de faux-fuyants, de propos complotistes, d’outrances verbales et d’excès médiatiques en tout genre. Ceci commence par véritablement prendre le temps de s’informer et de vouloir comprendre avant de juger. Il s’agit ensuite d’évaluer l’information en allant aux sources pour comprendre comment une connaissance se construit. Puis, vient le temps de bien séparer les informations factuelles, d’une part, des arguments et des opinions, d’autre part. La quatrième étape consiste à prendre acte des débats entre les interprétations et de la nécessité du pluralisme des idées et des projets. Enfin, il s’agit de distinguer les interprétations validées par l’expérience, les hypothèses et les opinions liées à des croyances.

L’origine du manque d’esprit critique vient du fait que nous avons toutes et tous des biais cognitifs qui, selon les scientifiques, correspondent à une déviation dans le traitement rationnel d’une information. Les bais cognitifs incitent ainsi une personne à accorder une importance différente à des faits de même nature, la conduisant à des erreurs de jugement ou de raisonnement.

Parmi ces biais de jugement : le biais d’ancrage, qui nous conduit à être sous l’influence laissée par la première impression ; le biais d’autocomplaisance consiste à penser que nous sommes à l’origine de nos réussites, mais pas de nos échecs ; le biais de normalité consiste à penser que tout va se passer comme d’habitude en ignorant les premières alertes ; le biais égocentrique est de s’autoévaluer sous un meilleur jour qu’en réalité ; enfin, le biais d’effet Dunning-Kruger souligne que les personnes moins compétentes dans un domaine ont tendance à surestimer leurs compétences, alors que les plus compétentes se sous-estiment.

La menace qui pèse sur nos intelligences provient également de biais de raisonnement. Le biais de confirmation d’hypothèse consiste à préférer les informations qui confirment notre hypothèse plutôt que celles qui les infirment ; le biais de disponibilité souligne le fait de valider les informations immédiatement disponibles sans prendre le temps de chercher d’autres sources ; le biais de perception sélective vise à interpréter les informations de manière sélective en fonction de sa propre expérience et environnement culturel ; enfin, le biais de coût irrécupérable consiste à considérer les coûts déjà engagés dans une décision, par exemple en gestion de crise, sans se dire que le chemin pourrait être encore long.

Dans son allégorie de la caverne, Platon définit la caverne comme lieu de l’enfermement, de l’ignorance et des apparences. C’est l’espace des biais cognitifs. Le deuxième lieu - le monde extérieur – est celui de la liberté, du savoir et du réel. Selon Platon, le rôle du philosophe est de prendre le risque de partager la vérité à laquelle il a accédé, ce qui demande de la détermination, du courage et de l’humilité. Il y a ainsi quatre états possibles pour l’individu : l’imagination, la foi, la connaissance discursive et l’intelligence, cette dernière étant, pour Platon, la plus élevée des opérations de l’âme.

L’esprit critique est le moteur d’une démocratie dynamique. Il y a ainsi un lien indéfectible entre un tel état d’esprit et un leadership éclairé. Un dirigeant devrait privilégier la compétence à la loyauté de ses proches collaborateurs, et accepter que ceux-ci aient un usage assidu de leur sens critique. En faisant preuve d’esprit critique et en étant conscient de ses propres biais cognitifs, un leader saura écouter l’intelligence collective rassemblée à ses côtés, mettre les sujets en perspective et favoriser la parole de l’expert et la discussion contradictoire.

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