Point de vue du CIO – 18.07.2022 :
Points clés
• Les investisseurs en actions sont confrontés à des choix difficiles, les craintes de récession et la remontée des taux d’intérêt pesant simultanément sur les marchés boursiers. La performance des portefeuilles peut être améliorée en privilégiant des styles d’investissement différents
• Un bras de fer entre les actions de style « valeur » et « croissance » a dominé les débats l’an dernier. Cette année, la hausse des taux a aussi affecté les segments à forte croissance
• Les actions de qualité ont tendance à surperformer dans les environnements de marché difficiles, particulièrement lors de ralentissements et de récessions conjoncturelles
• Nous avons progressivement orienté notre allocation d’actifs vers les titres de qualité cette année, renforçant récemment ce biais au sein de nos expositions aux actions.
Les investisseurs en actions vivent une année douloureuse. Les principales places boursières ont cédé 10% à 25%, avec une baisse à deux chiffres aux Etats-Unis, en Europe, en Chine continentale et dans de nombreux pays émergents. Les craintes de récession s'ajoutent à une inflation élevée, à l’enlisement de la guerre en Ukraine et à la réduction des expositions au risque des investisseurs. Ce cycle est également inhabituel du fait que les inquiétudes liées à la croissance et la remontée des taux d’intérêt pèsent simultanément sur les marchés financiers, ne laissant guère de refuge aux investisseurs.
Le facteur X
Les investisseurs peuvent essayer d’améliorer la performance de leurs portefeuilles en adoptant un biais de région, de secteur ou de style au sein de leurs expositions aux actions. La dispersion peut être importante à ce niveau. En effet, depuis le début de l’année, l’énergie est le seul secteur ayant enregistré une performance positive, de 21,4%, contre une baisse de 28,5% signée par les titres du secteur de la consommation discrétionnaire . Différents « facteurs » ou styles d’investissement, tels que « valeur », « croissance », « qualité », « momentum » et « taille » (voir encadré page 3), peuvent expliquer la performance ajustée au risque à long terme des investissements. Ces facteurs affichent aussi des caractéristiques différentes en termes de volatilité, de sensibilité aux taux d’intérêt et de performance au cours d’un cycle économique. Ces dernières années, les styles d’investissement ont joué un rôle plus déterminant pour les rendements que les secteurs ou les régions, selon les données de MSCI .
Un bras de fer entre « valeur » et « croissance »
Le style « valeur », qui consiste à investir dans des actions qui semblent peu chères par rapport à leur valeur intrinsèque, a été une stratégie privilégiée dans l’histoire des marchés boursiers. Cependant, entre la grande crise financière et 2021, les actions de croissance ont surperformé les titres de style valeur: l’ascension inexorable des valeurs technologiques a conduit de nombreux investisseurs à se demander si le monde avait fondamentalement changé. Pourtant, depuis la mi-2021, les actions de style valeur ont regagné du terrain. Cette année, la remontée des taux d’intérêt a surtout pénalisé les segments à forte croissance, bien que l’écart de performance entre les titres de valeur et de croissance se soit réduit.
Les investisseurs qui tiennent compte des différents styles ont tendance à se concentrer sur la dichotomie valeur/croissance: la performance sera-t-elle fonction du coût initial de l’investissement ou de la croissance ultérieure? Néanmoins, il existe une autre dimension moins étudiée : le facteur qualité. Il n’y pas de consensus sur la définition de ce dernier. Un attribut de qualité peut être accordé pour servir ses propres intérêts : nul ne souhaite dire à ses clients que leur portefeuille est investi dans des actions de faible qualité. Selon notre définition, les actions de qualité ont une rentabilité élevée et stable (rendement des capitaux propres, variabilité des bénéfices) et un faible endettement. La recherche académique montre que les actions répondant à ces critères ont généré une performance ajustée au risque supérieure à celle du marché, avec des primes de rentabilité avérées, surtout pour les grandes capitalisations.
Point crucial, le style qualité a tendance à surperformer dans les contextes de marché difficiles, comme les ralentissements ou les récessions conjoncturelles, qui pèsent sur les bénéfices et les marges dans la plupart des entreprises. Ainsi, les actions de qualité américaines ont surperformé le marché lors des trois dernières récessions (2001, 2008-2009 et début 2020, voir graphique 1). Pourquoi ? Les entreprises de qualité ont en général un modèle d’affaires robuste et des avantages concurrentiels par rapport à leurs pairs. Beaucoup sont des multinationales largement diversifiées entre plusieurs économies. Leurs bénéfices prévisibles persistent malgré une baisse de la croissance. Cela leur permet de continuer à verser des dividendes, ce qui offre un revenu fiable aux investisseurs, atout de poids quand les rendements obligataires sont faibles. En moyenne, les sociétés de qualité s’en sortent également mieux dans un contexte inflationniste parce qu’elles peuvent mieux protéger leurs marges.
Comprendre le succès de Warren Buffett
Les investisseurs qui privilégient les styles qualité et valeur ciblent les bénéfices robustes, sachant que les uns mettent l’accent sur la santé du bilan et les autres sur les multiples de valorisation. Les deux styles sont gagnants à différents moments du cycle : les actions de type valeur lors d’expansions, quand leurs multiples s’améliorent, et les valeurs de qualité lors de récessions. Warren Buffett est connu comme étant un investisseur de style valeur, mais l’analyse de la performance de Berkshire Hathaway entre 1977 et 2016 montre que le facteur qualité était en réalité beaucoup plus significatif que le facteur valeur dans la génération de rendements excédentaires, puisqu’il a permis d’ajouter 3,4 points de pourcentage de performance, contre 1,2 point dans le cas du style valeur . Une maxime de Warren Buffett qui comporte les deux éléments a été publiée dans le rapport annuel 2008 de Berkshire Hathaway : « Qu’il s’agisse de chaussettes ou d’actions, j’aime acheter des produits de qualité quand ils sont en soldes. »
Un biais défensif
En adoptant un biais de qualité, il est possible d’intégrer un élément défensif au positionnement des portefeuilles et de réduire le risque. Dans notre allocation d’actifs actuelle, nous favorisons le style valeur au détriment du style croissance, et nous avons progressivement accentué le biais qualité dans notre sélection de titres cette année. Si les produits cotés en Bourse (exchange-traded products, ou ETP) peuvent s’avérer utiles à cette fin, cette approche offre aux gestionnaires actifs l’opportunité de créer de la valeur en identifiant les sociétés de qualité et en sélectionnant des titres individuels. Cette stratégie peut s’avérer judicieuse étant donné que la dispersion de performance des actions est actuellement plus élevée que d’ordinaire. En outre, elle ne tient pas compte des secteurs et des pays. Nous avons récemment augmenté le biais de qualité au sein de notre exposition aux actions américaines, univers où l’on trouve le plus grand nombre de valeurs de qualité.
Pourquoi le faisons-nous maintenant ? Une première raison concerne la correction boursière. Les valorisations des actions de qualité ont baissé, s’inscrivant désormais au niveau de leurs moyennes à long terme, et ne constituent plus un obstacle. Une autre raison est liée à la probabilité croissante d’une récession sévère. Notre indice propriétaire « World Economic Indicator », qui suit 74 indicateurs microéconomiques et qui avance le PIB de six à huit mois, signale le passage récent d’une phase de ralentissement à une contraction. Le style qualité a tendance à surperformer quand les marchés sont soumis à des conditions financières plus restrictives (voir graphique 2), surtout 7 à 18 mois après l’inversion de la courbe des taux américaine (moment où le rendement des obligations à deux ans dépasse le rendement des emprunts à dix ans), ce qui a eu lieu en mars 2022 pour la première fois depuis août 2019. Globalement, nous sous-pondérons les actions lorsque l’on tient compte de nos stratégies d’options sur les indices américains et européens.
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