Page d'accueil du site Navigation principale Début du contenu principal Plan du site Rechercher sur le site

Stratégie “Brandia”, quand les marques deviennent médias

29.11.2021 - 08:00
Par Julien Lévy, consultant en stratégie de marque et digital, M&BD Consulting et The Good Consulting.

Article publié initialement sur www.thegood.consulting

 

Vous pensiez vendre des produits ? 
Vous diffusez du contenu. 

Jusque récemment, la présence digitale était un soutien à la vente, considérée comme un canal publicitaire presque comme un autre. Un peu plus rapide, un peu moins prévisible, beaucoup plus hype, un peu plus jeune aussi mais pas traité de façon bien différente.

Dans le secteur du luxe, par exemple, l’univers de la marque était incarné par ses produits, une égérie en était le faire valoir, puis l’influence est arrivée de concert avec une diminution du nombre des points de contacts obligeant les marques à intégrer un état d’esprit de média. Voici les Brandia.


Pourquoi ce changement ?

1/ Désormais, la guerre de l’attention s’opère sur un nombre de supports et de points de contacts réduits : pour le dire grossièrement, 5 plateformes tout au plus accaparent l’attention de 4,5 milliards d’humains à raison de 2h30 par jour* ;

2/ Le push montrant ses limites depuis longtemps, la concurrence ne se fait plus entre pairs (marques d’un même secteur par exemple) mais entre toutes marques et médias digitaux confondus : les activités de divertissement et d’achats se répartissent sur ces mêmes temps de scroll ;

3/ Les ciblages de plus en plus précis notamment sur les critères professionnels continuent d’éclater les limites entre vies personnelle et professionnelle. Ainsi les acteurs du B2B entrent eux-aussi dans l'arène de l’attention ;

4/ L’engagement sur les réseaux sociaux est directement transposable en ROI avec une marge supérieure en vente directe ;

5/ L’expérience utilisateur peut être maîtrisée de A à Z augmentant les leviers de fidélisation et de rentabilité d’un consommateur ;

6/ Mécaniquement, le vieil adage “content is king” devient toujours plus vrai et un produit aussi bon soit-il est de moins en moins suffisant pour créer un contenu roi.

Raisons d’être

Il y a dix ans, Simon Sinek professait avec son Golden Circle : “Start with Why”, à savoir que la raison d’être d’une entreprise (le why) était ce qui conduisait les consommateurs à acheter ses produits (le what). Cette raison d’être était alors intégrée et exposée dans un écosystème équilibré composé d’un site web, de publicités magazine, d’articles de blogs et des produits eux-mêmes bien entendu.

Aujourd’hui, ces valeurs sont toujours véhiculées dans un écosystème à 360°, mais dont l’accès se réduit à quelques plateformes. 

“Dans un moment où la lutte pour l’attention et la part de voix conditionnent directement et sans alternative le succès d’une marque, ce contenu devient le principal point de différenciation.”

Cette raison d’être qui va créer l’adhésion de sa communauté s’exprime directement dans le contenu proposé par les marques. 

Dans un moment où la lutte pour l’attention et la part de voix conditionnent directement et sans alternative le succès d’une marque, ce contenu devient le principal point de différenciation. 

Potentiellement, la ligne éditoriale de la marque et le contenu qu’elle propose devient tellement important qu’elle relaie les modèles d’affaires historiques au rôle de soutien, et les produits à la “Reason to believe”.

Ainsi les marques deviennent des médias. Leur business est celui des médias. Leurs concurrents sont les médias autant que les entreprises de leurs secteurs d’activités historiques. Traditionnellement, les médias fournissaient à leurs audiences des contenus et se finançaient par la publicité.

Aujourd’hui les marques prennent le chemin de devoir jouer sur le même terrain en véhiculant leurs valeurs par l’intermédiaire de contenus toujours plus qualitatifs et engagés en se finançant par la vente de leurs produits qui répondent implicitement à ces mêmes valeurs.

Dans un monde qui se polarise, où chaque opinion est visible, se demander pour une marque ce qu’on a à dire, ce sur quoi on prend parti, ce en quoi on croit, à quelle vision du monde on adhère, en quel format et sur quelle tonalité, pourrait devenir prioritaire sur ce qu’on vend.

Le produit devient un moyen, plus une fin en soi, sa qualité et sa bienfacture un prérequis.

Être naturel, ou bio, ou neutre en carbone devient une norme. S’en targuer n’est plus suffisant pour convaincre, mais impossible de convaincre sans. 

Quelle stratégie de contenu pour devenir réellement “plus intéressant qu’intéressé” ? 

Ainsi, il est juste de se poser les questions suivantes…
Quelle proportion de posts doivent inclure des produits ?
Comment mes valeurs se traduisent en contenus ?
Quels formats sont les plus représentatifs ?
Quel ton de voix adopter ?
Quelle place donner à la curation?
Quel parcours utilisateur créer ?
Quels KPIs définir ?
Quels budgets engager dans la production de contenus compte tenu du nouveau paysage concurrentiel ?

Il s’agit d’ajouter à ce qu’on fait , ce en quoi on croit ; à Comment on le fait, sa vision du monde ; aux bénéfices apportés, ses engagements. 

Quelle influence sur l'organisation de la marque ? 

L’époque où les “Responsables du digital”, en bout de chaîne du département marketing étaient chargés de “nourrir la bête”, pour la promotion des produits ou des opérations spéciales semble derrière nous, les voici au coeur du sujet !.

Ainsi, les rôles des départements Marketing, Communication et de la direction de l’entreprise changent pour devenir des traffic managers, des rédacteurs en chef, des directions de média. 

La transformation sur les organisations qu’impose l’orientation média affecte en premier lieu la chaîne de valeur : quelles transformations structurelles impliquent que le média n’est plus une source de coûts en soutien à la vente, mais que la vente devient un moyen de financer le média ?

Ainsi, comment réorganiseriez-vous votre entreprise si vous étiez un média d’opinion ? 

Quelles réunions d’équipe organiseriez-vous chaque semaine ?
Quels en seraient les ordres du jours ?
Quel fact-checking?
Quelles responsabilités assigneriez-vous à l’équipe marketing ?
Comment considéreriez-vous les ressources dont vous disposez ?
Où chercheriez-vous les nouveaux thèmes à traiter ?
Que mettriez-vous en place pour rebondir sur l’actualité ?

Quel enjeu de la transformation des organisations ? 

Aussi, le “How” du cercle d’or de Simon Sinek, (la façon dont les produits sont créés) devient central pour répondre à cet idéal de raison d’être qu’est le “Why”.

Dans une période où la transparence est le mot d’ordre, chaque étape de la chaîne de valeur de l’organisation devient à la fois un objet de transformation pour plus de vertu et un sujet de partage, une opportunité de contenu.

Cette hyperfocalisation sur le “comment” allié à une nécessité de transparence induit mécaniquement une remise en cause des processus, une urgence à régler les problèmes qui jusqu’à présent pouvaient attendre, jusqu’à modifier les modèles d’affaires.

Cependant, le temps d’attention de l’audience est limité et les problématiques industrielles complexes. 

Comment ne pas être simpliste et caricatural dans la communication sur sa chaîne de valeur ?
Comment allier transparence de fabrication et formats courts ?
Comment allier explications simples, thèmes complexes et attentes parfois simplistes ?
Comment justifier des paradoxes apparents inévitables d’une activité industrielle ?
Jusqu’où plaider pour de l’impact positif quand le meilleur packaging est celui qui n'existe pas ?


L’ère où se targuer de ses actions de développement durable pour paraître irréprochable semble lui aussi derrière nous. Aussi nombre de marques l’ont compris et, guidées par une sincère volonté de transparence et d’amélioration s’engagent à communiquer sur l’état d’avancement des problématiques devant encore être ajustées : l’optimisation des transports, la limitation du plastique, l’impact à la source. Ainsi, implicitement, les autres éléments sont perçus comme réglés.

“Et que la volonté de communiquer sur ces éléments structurels et industriels très internes soit là ou non ne change rien dans la nécessité d’être prêt à en répondre !”

Et que la volonté de communiquer sur ces éléments structurels et industriels très internes soit là ou non ne change rien dans la nécessité d’être prêt à en répondre !

Si une organisation a enclenché le mouvement, il vaut pour toutes les autres. 

La comparaison étant facilitée, le rapport au temps court induisant de facto les visions de plus en plus simplistes, aucune marque n’est à l'abri d’être interpellée sur ce que prétend son voisin et de devoir y répondre au nom de la transparence.

Entre autres et pour nourrir les réflexions, de nombreuses autres questions se posent dans la nécessité de transformation de la chaîne de valeur à l’heure des marques-médias :

Comment réorganiser la R&D et le développement produits pour en faire aussi des sources de contenu et les rendre compatibles avec les temporalités qu’impose le média ?

Comment raconter ses transformations, en transparence, en live reporting, tout en conservant suffisamment de recul sur leur bien fondé ?

Comment capter les attentes consommateurs et quelle part leur donner ?

Quel est le modèle sociétal à véhiculer ? 

Dans un monde d’excès, la question courageuse qui résume toutes les précédentes devient peut-être finalement : “À quoi renoncer ?”

Bienvenue dans l’ère des Brandia.

SBM Logo