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Que faire après quinze jours de panique boursière historique?

16.03.2020 - 16:27
Par Alain Freymond

Une menace réelle pourtant  totalement négligée pendant près de deux mois

Le 21 février 2020, en pleine euphorie boursière, les marchés financiers prenaient conscience que malgré les actions extraordinaires entreprises en Chine pour lutter contre l’épidémie de Coronavirus, celui-ci faisait son apparition en Europe et touchait désormais directement l’Italie. Il apparaissait soudainement évident que la menace avait été très largement négligée pendant plusieurs mois par la majorité des investisseurs. Le choc était alors à la mesure de la complaisance qui avait prévalu pendant de longues semaines. Insensibles à toute menace et à toute forme de risque, les investisseurs ne s’étaient en effet qu’à peine inquiétés trois ou quatre jours en janvier des risques au moment où la gravité de l’épidémie en Chine ne faisait pourtant plus de doute et commençait à faire les gros titres des médias. Très vite, l’appât du gain reprenait cependant le dessus sur l’analyse et l’évaluation objective et rationnelle des risques, engageant la majorité des investisseurs à retrouver un enthousiasme et une assurance dans l’avenir et dans les perspectives économiques, qui s’apparentaient à de l’inconscience pour tout observateur mesuré et rationnel inquiet de l’accroissement des risques dans un contexte de valorisation extrême des marchés financiers.

Une gestion active et rationnelle est seule capable de se prémunir contre un choc de marché

En investisseur conscient des risques et des niveaux de valorisation déjà particulièrement élevés des marchés financiers internationaux dans leur ensemble, particulièrement après la dernière phase de progression des indices boursiers en fin d’année, nous avertissions alors des réels risques d’un retour très important de la volatilité et des facteurs de risque pouvant provoquer des corrections très fortes des marchés financiers dans les prochains mois.

En recommandant la prudence et une allocation d’actif résolument plus défensive à l’égard de l’ensemble des actifs « risqués », nous étions conscients d’adopter une position tactique non consensuelle, la très grande majorité des principaux acteurs de la gestion d’actifs institutionnels ou privés étaient en effet encore très largement optimistes. Les acteurs majeurs recommandaient au contraire presque unanimement une surpondération des actions dans leurs politiques de placement destinées à leurs clients, faisant totalement fi des risques de pandémie et des risques de chute des marchés.

Aujourd’hui ces acteurs majeurs tant en Suisse qu’à l’international, qui n’ont pas pu réellement agir et repositionner les allocations d’actifs de leurs clients avant cette courte période de crash, alors qu’il était encore possible de le faire, en faveur d’une politique plus adaptée à la situation prétendront certainement qu’il était impossible de prévoir l’évolution de l’épidémie en pandémie et qu’il n’était donc pas possible de se prémunir contre les effets possibles d’un tel développement ou argueront simplement qu’un rebond rapide effacera très vite les pertes de valeurs enregistrées. En tentant de justifier leur inaction et leur absence de vision ou de gestion des risques, ils démontrent ainsi surtout que leur incapacité d’action et de réaction liée à divers facteurs et intérêts particuliers n’est pas adaptée aux besoins des investisseurs qui attendent au contraire de leurs partenaires et mandataires un réelle capacité d’analyse, d’évaluation des risques et des opportunités leur permettant de gérer de manière rationnelle et professionnelle leur fortune personnelle ou celle qui leur a été confiée (institutions de prévoyance, trustee, etc…).

Cette menace était pourtant bien prévisible. Dans un monde autant interconnecté que celui dans lequel nous vivons désormais, même les mesures extrêmes prises par les autorités chinoises ne pouvaient en effet garantir que celle-ci resterait contenue au sein des frontières chinoises. Dès lors, ce facteur de risque ne devait pas être négligé et ne pouvait être pris en considération de facto que par des politiques de placement ou des styles de gestion actifs permettant une gestion tactique et rationnelle des opportunités mais surtout des risques.

Le Covid-19 rappel aux investisseurs passifs que cette approche n’est de loin pas sans risque

Les investisseurs ayant adopté de telles formes organisationnelles de la gestion de leur fortune en choisissant des approches et techniques de gestion actives, capables également de tenir compte d’impératifs spécifiques comme la gestion des risques absolus par exemple, ont certainement été mieux préparés que ceux plutôt convaincus de la gestion indicielle et convaincus aussi par conséquent de l’inutilité de gérer à moyen terme les risques de marchés et les risques de pertes en capital. Encore fallait-il être en réelle capacité d’action et vouloir protéger les patrimoines pour que ces stratégies soient à même d’apporter les bénéfices attendus. A nouveau, il s’agit de distinguer aussi au sein des acteurs de la gestion active ceux qui n’hésitent pas à privilégier la gestion des risques et la préservation du capital lorsque les valorisations deviennent irrationnelles et lorsque la situation l’exige de ceux qui prétendent le faire en adoptant finalement des approches plutôt inactives et non conformes au style qu’ils prétendent mettre en oeuvre.

Dans ce contexte, les approches de gestion passives ou indicielles, indexées sur des « benchmarks », ou les approches de type « momentum », qui ont été privilégiées au cours des dernières années par un nombre croissant d’institutions ne vont pas manquer de susciter des réactions de stupeur et de mécontentement face à la chute historique des cours et à celle de la valeur des patrimoines concernés. En effet, après de nombreuses années de « bull market » soutenues par des banques centrales actives, de nombreux investisseurs avaient sans doute oublié que des facteurs exogènes pouvaient provoquer des crashs financiers rapides et réduire en quelques jours à néant les plus-values enregistrées progressivement pendant des années. A titre d’exemple, les investisseurs européens suivant une approche indicielle ont ainsi perdu en quelque jours toutes les plus-values enregistrées depuis le mois de juin 2013, soit près de quinze trimestres de patience réduits à néant, mais toujours justifiés aujourd’hui par l’espoir de retour à long terme vers les sommets atteints en février 2020.

Le Covid-19 et l’Arabie saoudite provoquent la panique

Le 21 février, les marchés financiers ont fait face à un premier choc provoqué par la prise de conscience d’une transmission possible hors des frontières de la Chine du Coronavirus et des effets potentiels sur les populations mondiales. Progressivement, le monde réalisait aussi sans pouvoir s’en prémunir que les économies occidentales étaient fragilisées par une interdépendance désormais extrême entre elles et l’économie chinoise. L’effondrement de l’activité chinoise, qui n’avait initialement presque pas affecté les marchés financiers, est désormais apparue comme une menace majeure pouvant affecter les chaines d’approvisionnement et de production dans un très grand nombre de secteurs industriels en particulier. Les secteurs aériens, maritimes et transport en général ont subi des effets massifs qui ne manqueront pas de provoquer des risques de faillites sans un soutien des gouvernements au cours des prochaines semaines. En même temps, les risques de ralentissement conjoncturels sont ainsi apparus plus sérieux, poussant les taux d’intérêt, les marchés actions et les cours des matières premières à la baisse. La chutes des bourses était déjà significative mais elle a été ensuite exacerbée également par le choc provoqué par l’Arabie Saoudite sur le marché du pétrole. Le 6 mars, en décrétant une baisse de ses prix du brut à ses clients suite à l’absence d’accord sur la réduction des quotas au sein de l’OPEP+, l’Arabie Saoudite jetait sans le vouloir de l’huile sur le feu et provoquait une chute de -40% des cours du WTI en deux jours. Dans les jours qui suivaient, le Covid-19 et la chute du brut poussaient dès lors les marchés actions -20% plus bas, provoquant une journée de panique absolue (-9.5%), qui restera sans doute longtemps comme la 2ème plus forte baisse de l’histoire du S&P500 après la chute du lundi 19 octobre 1987 (-20.4%).

Le Covid-19 est-il une menace durable pour l’économie mondiale ?

Après deux mois de crise sanitaire et des mesures extrêmes prises par le gouvernement chinois, il apparait désormais selon les chiffres officiels et statistiques publiées (à prendre avec les précautions d’usage) que le pic de l’épidémie en Chine soit en passe d’être atteint. La reprise de l’activité est encore particulièrement timide et il faudra encore patienter pour voir des signes plus nets de retour à la normale. Sur le plan sanitaire, l’OMS publie à ce jour (12 mars 2020) 125'048 cas confirmés de Covid-19 et 4'613 morts, dont 80'981 cas en Chine et 3'173 décès. L’OMS considère désormais qu’il s’agit bien d’une pandémie, que celle-ci est contrôlable, mais que cela nécessite un engagement supérieur de nombreux pays qui ne semblent toujours pas avoir mis en œuvre toutes les mesures de contrôle exigées.

La situation est donc sérieuse et devrait encore subir des développements importants pendant plusieurs mois.

Au-delà des aspects liés à la santé publique traités par les autorités compétentes, notre analyse de la situation en termes d’impact conjoncturel nous laisse penser que les effets potentiels sur la croissance économique mondiale seront importants. Il a souvent été évoqués récemment par certains gouvernements en Europe notamment que les effets sur la croissance seraient limités à -0.1% en 2020. Désormais, il faut considérer que les mesures de précaution sanitaire prises cette semaine par la plupart des gouvernements européens et aujourd’hui par le gouvernement suisse, visant en particulier à limiter les contacts entre les citoyens et entre les populations par la fermeture de frontières, auront des répercutions notables sur la croissance économique mondiale. La déclaration de l’état d’urgence aux Etats-Unis et la suppression des vols en provenance de l’Europe (ex Royaume-Uni) ne manqueront pas d’accroitre le niveau de tension dans un climat déjà particulièrement anxiogène.

De nombreux secteurs seront durement touchés par les interdictions de voyage, de rassemblement, de manifestation et d’événement sportifs ou culturels. Les risques de remontée des taux de chômage et de faillites d’entreprises seront croissants et assez étroitement liés à la durée des mesures sanitaires prises affectant l’économie. Dans la plupart des pays, la fenêtre de risque semble avoir été évaluée à environ deux mois, ce qui constitue la période sans doute minimale pendant laquelle l’activité sera désormais très nettement ralentie dans la plupart des pays de l’OCDE.

Si la Chine est peut-être aujourd’hui en phase de normalisation lente de son activité, il est possible d’espérer que l’expérience acquise et le temps précieux gagné pour finalement adapter l’organisation de nos systèmes de santé avant l’émergence d’une vague de cas attendue pour les prochaines semaines, permettra aux pays ayant pris les bonnes mesures, de traverser cette crise à venir dans de meilleures conditions. Sur le plan économique mondial, le ralentissement chinois et asiatique affectera très nettement la croissance mondiale au 1er trimestre, tandis que le tassement conjoncturel attendu en Europe et aux Etats-Unis interviendra probablement en début de 2ème trimestre. Ce décalage temporel dans le rythme d’activité devrait permettre aux statistiques conjoncturelles mondiales de résister et d’éviter potentiellement une récession tant au 1er qu’au 2ème trimestre 2020, malgré un ralentissement qui sera cependant très notable dans la plupart des pays.

La chute des marchés financier affectera le sentiment des consommateurs

Néanmoins, il faut souligner que la chute des marchés financiers d’environ -25% entre le 21 février et le 12 mars aura un impact sur la croissance, notamment en raison de la diminution très nette du sentiment de richesse des ménages. On peut estimer, que ceux-ci, déjà inquiets des risques sanitaires, diminueront leur consommation et augmenteront certainement leur épargne de précaution. Les perspectives pour la consommation privée pour les prochains mois devraient être revues à la baisse, ce qui ne constitue pas un facteur positif pour les PIB des pays très liés à la consommation des ménages. La consommation publique devrait dans ce contexte être clairement un facteur de soutien économique et pourrait compenser une baisse de la demande privée. Sur le plan des investissements en biens d’équipement, l’environnement actuel n’est clairement pas source de motivation, ceux-ci devraient donc marquer le pas, en particulier dans les secteurs liés à l’énergie.

Finalement, les perturbations des chaines de valeurs et de production ne vont pas diminuer rapidement, même en phase de relance de la production chinoise. Un retour à la normale est difficilement prévisible et sera très variable selon les secteurs d’activité. Il sera aussi fonction des interdépendances existantes entre pays ou zone de production et à l’évolution des contraintes et limites règlementaires imposées au transfert de marchandises et produits.

La crise du Covid-19 met en lumière cette interdépendance connue de la plupart des économies liées à la Chine, mais dont les effets négatifs n’étaient pas perçus avec autant d’acuité qu’aujourd’hui. Elle souligne brutalement la fragilité de ces économies et la limitation de leur capacité de réaction face à une crise externe, mais elle met aussi en évidence l’absence très dommageable d’anticipation sur les plans politiques et économiques.

Lorsque l’économie mondiale se relèvera de cette crise, l’organisation de la production mondiale subira très certainement des ajustements significatifs qui constitueront alors sans aucun doute des opportunités de positionnement et d’investissement à long terme particulièrement intéressantes.

Finalement, la crise du Covid-19 en est à ses débuts et le flux de nouvelles économiques qui sera publié au cours des prochains mois ne devrait pas être optimiste. De ce fait, le sentiment des investisseurs, qui est passé en quelques jours d’un extrême optimisme à une panique sans doute exagérée à court terme, n’a que peu de chance de s’améliorer rapidement et durablement.  Le premier semestre 2020 devrait donc être marqué par des statistiques globalement négatives qui devraient conforter les anticipations de ralentissement conjoncturel.

Toutefois, nous considérons que les effets négatifs sur le plan économique de la crise du Covid-19 devraient être limités au 1er semestre 2020.

La demande mondiale devrait s’avérer plus solide au second semestre, notamment après les interventions des banques centrales en faveur de politiques de relance plutôt agressives. Nous estimons également que les politiques budgétaires seront nettement plus expansives et favorables à la croissance très rapidement en 2020 ce qui limitera les risques conjoncturels prochains.

Faut-il croire à un rebond boursier rapide ?

La correction des marchés qui a frappé toutes les bourses ces dernières semaines a selon nous certainement déjà atteint un niveau suffisant pour susciter un nouvel intérêt de certains investisseurs orientés à plus court terme. Nos mesures de valorisation des risques et des opportunités appliquées aux divers marchés actions avaient atteint en janvier 2020 des niveaux extrêmes de risque selon la plupart de nos standards mesurés. Désormais, les corrections de valeurs observées ont réduit et parfois presque normalisé les paramètres de risques suivis. Après une correction massive de -34% en Europe, -32% au Royaume-Uni, -30.8% au Japon, -26.8% aux Etats-Unis et -25.8% en Suisse, nous estimons que les risques économiques liés au Covid-19 ont été déjà suffisamment pris en considération sur la base de nos connaissances actuelles de la problématique pour justifier une reprise probable des indices boursiers dans les prochains jours qui pourrait s’avérer rapide et d’une amplitude importante.

Cependant, une reprise boursière technique aura nécessairement un impact négatif sur le niveau de valorisation et de risque des marchés. Un tel rebond pourrait ensuite être de nature à provoquer une nouvelle vague de baisse des cours avant que la situation ne s’améliore réellement. La volatilité n’est pas prête de diminuer nettement au cours des prochaines semaines, il s’agira de rester prudent dans un contexte globalement très incertain pour profiter des opportunités qui semblent déjà se présenter.

En ce qui concerne les cours du brut, la chute de ces dernières semaines s’apparente à celle observée en 2015 qui avait touché 26$ le baril avant de rebondir au-delà de 50$ et de se stabiliser ensuite pendant quatre ans entre 50$ et 60$. La stratégie initiale de l’Arabie saoudite qui cherchait à réduire la production de l’OPEP pour maintenir un équilibre entre l’offre et la demande dans le contexte de baisse des perspectives économiques liées au Covid-19 n’a pas été suivie par la Russie. L’Arabie saoudite a temporairement fait chuter les cours avec deux objectifs. Le premier est certainement de ramener à la table de négociation la Russie et le second vise sans doute à pénaliser les producteurs américains de pétrole de schiste aux coûts de production élevés, qui sont les seuls responsables de l’augmentation de l’offre mondiale de brut. Les cours du brut ne devraient pas rester durablement bas et retrouver dans les prochains mois le niveau d’équilibre de 50$.

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